L’Union européenne, une démocratie de stakeholders (2024)

1Tant décriée depuis les années 1970 pour le «déficit démocratique» de son régime politique (Eriksen, Fossum, 2000; Crombez, 2003), l’Union européenne s’est muée au cours des quinze dernières années en parangon de la démocratie participative. De façon emblématique, le dernier traité européen inscrit l’ouverture [1], le dialogue [2] et la concertation [3] au titre des «principes démocratiques» de l’Union européenne. Plus: il introduit un dispositif de pétitionnement populaire – l’Initiative citoyenne européenne (ICE) – dans lequel les responsables de la Commission européenne voient «un grand pas pour promouvoir la démocratie participative [4]». Ce nouveau style dans le gouvernement de l’Europe s’est imposé par touches successives. Sa première énonciation officielle se trouve dans le Livre blanc sur la «gouvernance européenne» que la Commission européenne publie en 2001. Posant la «gouvernance» en véritable théorie d’institution, ce texte célèbre les vertus de la «participation» comme l’un des grands principes d’une «gouvernance plus démocratique» [5] de l’Union européenne. Si le développement de relations étroites avec les «experts» et les «représentants d’intérêt» remonte aux origines du processus d’intégration (Coen, Richardson, 2009), la mise en pratique de la théorie gouvernancielle formulée en 2001 s’est traduite depuis lors par une concertation systématique et ostensible des «associations représentatives de la société civile» et, plus largement, des stakeholders (Bouza Garcia, 2015). Plus explicitement tourné vers les «citoyens», le participationnisme [6] qui imprègne aujourd’hui les modalités et des procédures de la décision européenne ne procède pas simplement de l’élan programmatique du Livre blanc de 2001, de la conviction ou de l’influence politique de ses rédacteurs, pas plus qu’il ne serait l’aboutissem*nt naturel d’une quelconque pente historique de la démocratie européenne [7]. C’est précisément aux conditions de possibilité de ce participationnisme d’institution, c’est-à-dire à la genèse sociale et à la consécration institutionnelle d’une théorie plus participative de la démocratie européenne, que cet article entend s’intéresser.

2L’examen généalogique de ce nouveau style du pouvoir européen et de la théorie gouvernancielle qui le sous-tend vise à décrire et comprendre comment le principe participatif s’est progressivement imposé comme la nouvelle norme des processus décisionnels mis en œuvre par la Commission de l’Union européenne. La démarche proposée ici ne compte pas s’attaquer à la fausse énigme des raisons politiques de ce basculement. Dès 2004, Guy Hermet voyait dans la gouvernance promue par «les eurocrates de Bruxelles», le «stade ultime» du mouvement consistant à donner à la gouvernance «la substance d’un concept véritablement construit» avec «un dessein avant tout politique de promotion de l’autorité de la Commission européenne vis-à-vis des États membres de l’Union» (Hermet, 2004). Notre démarche ne vise pas davantage à juger des mérites et des inconvénients du participationnisme européen. Outre son caractère normatif – parce que nécessairement référée à un ordre de normativité supérieur (les idéaux démocratiques, les valeurs fondamentales de l’Union européenne, etc.), une telle entreprise nous éloignerait du souci premier qui est le nôtre: rendre compte des mondes de relations et des logiques de situation agençant des laboratoires informels sur l’avenir de l’Europe politique [8] et au sein desquels a été imaginée dans les années 1990 cette nouvelle théorie, participative, de la démocratie européenne pour répondre au «problème» du gouvernement de l’Europe. Né avec le processus d’intégration, ce «problème» a rarement quitté l’agenda européen, rappelant au gré des «crises» successives du processus d’unification l’impérieuse nécessité de la «réforme» des institutions, de l’administration, des traités, du schéma décisionnel, etc. (Smith, 2013, 2014). À chacune de ses cristallisations politiques, ce débat a donné prise à une concurrence de diagnostics et de projets, donc de définitions du «problème», mettant au jour l’existence de plusieurs foyers de réflexion. Autour de la Commission, d’abord, où la réforme des institutions [9] – comme des politiques européennes, d’ailleurs – est historiquement conçue avec des chercheurs universitaires (Robert, Vauchez, 2010), des représentants des intérêts économiques sectoriels (Laurens, 2015) et plus récemment aussi avec des permanents des ONG et des think tanks (Berny, 2014). Mais le Parlement ou le Conseil économique et social de l’Union européenne, nous le verrons, ne sont pas en reste de ces compagnonnages entre élites transnationales qui font du monde des affaires publiques européennes un archipel d’ateliers de la réforme et de la prospective de l’espace décisionnel européen.

3En nous plaçant dans le sillage de la sociologie des professionnels de l’Europe (Joana, Smith, 2002; Vauchez, 2013; Michel, 2005) et des mondes de l’«eurocratie» (Georgakakis, 2012), nous nous attacherons à utiliser nos données d’enquête [10] pour retracer la genèse et les épisodes du participationnisme européen. Nous nous arrêterons, dans un premier temps, sur les lieux, milieux et réseaux d’acteurs qui ont dessiné la matrice de ce qui est encore une théorie procédurale du pouvoir européen orientée vers une meilleure prise en charge des intérêts sectoriels et territoriaux. Nous analyserons, dans un deuxième temps, pourquoi et comment, en réponse à l’échec électoral du printemps 2005, la rhétorique et l’ingénierie de la délibération citoyenne ont constitué l’une des pièces majeures de la stratégie de communication de la Commission. La seconde moitié des années 2000 est, en effet, une séquence «favorable [à la mise à l’agenda par] des entrepreneurs d’une cause participative» (Bouza Garcia, 2015, p. 144). Exalté et critiqué, le moment d’expérimentation effervescente de la participation citoyenne par «Bruxelles» est également une phase de domestication par les institutions de l’ingénierie et de la rhétorique participationniste. Nous étudierons, enfin, la genèse intellectuelle et politique de la doctrine du partipationnisme d’institution consacré par l’ICE. Entrée en vigueur au printemps 2012, l’ICE est bien l’ingénierie emblématique de la superposition de deux conceptions européennes de la participation: celle, ancienne, des représentants d’intérêt et des experts, théorisée par la «gouvernance»; celle, plus récente, des représentants de la «société civile» et des «citoyens». Nous verrons que le dispositif européen d’empowerment, paradoxalement, donne à la participation des citoyens la force d’un droit constitutionnalisé, tout en renforçant le poids politique des représentants professionnels de la représentation.

4À l’instar des préconisations formulées en 1971 dans le rapport Vedel [11], les cadres dominants de l’analyse des années 1970 à 1980 voient dans la parlementarisation de l’ordre institutionnel et du système décisionnel communautaire la principale réponse au «problème» du déficit démocratique de l’Union européenne (Cohen, Knudsen, 2012). Mais dès le début des années 1990, émerge et s’affirme progressivement une théorie alternative pour démocratiser l’Union européenne. Sur la base d’une analyse combinant les innovations de la théorie politique, la pragmatique modernisatrice des policy studies et une expertise mi-idéologique mi-technologique sur les vertus de la démocratie participative, se sont imposés progressivement les éléments d’une nouvelle doctrine de la démocratie européenne. Présente dès le Livre blanc de 2001 sur la «gouvernance européenne», cette doctrine s’est installée par avancées successives (Plan D de 2005, Livre blanc sur la communication de 2006) avant d’être consacrée, en quelque sorte, par l’Initiative citoyenne européenne (ICE) inscrite dans le traité de Lisbonne de 2007. Décrit comme le participatory turn de l’Union européenne, ce changement a donné prise à une intense activité de débats politiques et de commentaires savants (voir infra). Il reste cependant, à mieux comprendre la genèse sociale et la mécanique politique d’engendrement de ce basculement de paradigme. En s’intéressant aux diverses raisons et catégories d’acteurs qui ont contribué, entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000, à fabriquer une théorie participative de la démocratie européenne, nous allons observer la constitution d’un champ de la réforme du gouvernement européen, les modalités de sa structuration et les voies de son action.

5Le monde des entrepreneurs d’Europe qui s’organise autour des institutions de l’Union européenne est un espace de relations à combinaisons multiples où hauts fonctionnaires et responsables politiques côtoient et consultent quotidiennement des représentants d’intérêt économique, des militants de la cause européenne ou de causes arrimées aux politiques et législations communautaires, des chercheurs universitaires et toutes sortes de consultants (Robert, 2010). Ce monde dispose ainsi à la formation de ces «lieux neutres» analysés par Bourdieu et Boltanski, ces «groupes de travail à l’intersection du champ intellectuel et du champ du pouvoir, c’est-à-dire au lieu où la parole devient pouvoir, dans ces commissions où le dirigeant éclairé rencontre l’intellectuel éclairant» (Bourdieu, Boltanski, 2008, p. 11-12). À l’origine, les artisans ou partisans de ce qui n’est pas encore le participationnisme européen ne sont qu’un segment de cet univers, un tout petit monde de réformateurs composé des membres de la Cellule de prospective de la Commission européenne, d’universitaires de quelques centres et programmes de recherche, de militants des forums citoyens développés par des réseaux d’ONG, de think tankers spécialisés dans les affaires européennes. Principalement à l’initiative de hauts fonctionnaires de la Commission, qui mettent à la disposition de ce «laboratoire» divers appuis institutionnels (subventions et labellisations des initiatives et des programmes, reconnaissance des compétences et des résultats, dispositifs incitatifs), s’organisent des rencontres (séminaires, conférences), ces «machines à consensus» (Topalov, 1999, p. 19-20) où se fabrique une vision commune des choses et bientôt une coalition de réformateurs [12]. Si leurs intérêts demeurent hétérogènes, ses membres partagent un objectif commun: refonder le dispositif décisionnel de l’Union européenne. La raison participative n’est pas le motif premier de leur projet mais elle est une thématique dans l’air du temps qui traverse alors divers espaces d’activités (la politique, la recherche, les médias, le militantisme) (Massardier et al., 2012) et apparaît susceptible, à ce titre, de remédier aux multiples maux politiques de l’Europe.

6Alors que les traités de 1986 et 1992 consacrent un nouveau seuil de parlementarisation de l’ordre communautaire, les épreuves électorales du début des années 1990 (à l’occasion des référendums organisés pour la ratification du TUE et les élections européennes de 1994) alimentent la critique à l’égard de cette parlementarisation compensatoire. Une partie des agents de l’Union européenne et des observateurs spécialisés la juge inefficace pour améliorer l’image de l’Europe dans les opinions nationales. L’augmentation de l’abstention et des votes qualifiés d’eurosceptiques aux élections européennes [13] mais aussi le décrochage enregistré par les Eurobaromètres dans les opinions favorables à l’intégration sont les indicateurs convoqués pour attester de l’échec de la voie choisie jusque-là pour développer la «démocratie européenne». La séquence est marquée par le doute, dû tout à la fois à la contestation politiquement organisée de l’Union européenne (Neumayer et al., 2008) qu’à la perspective des prochains élargissem*nts (Peterson, Bomberg, 1996). La légitimité de la Commission, centre de gravité politique du système institutionnel, mais institution non élue, jugée trop bureaucratique et assujettie aux lobbies, se trouve fortement remise en cause au cours de l’année 1999, avec la démission collégiale de la Commission Santer (en mars) suspectée de corruption, éreintée de façon inédite par les eurodéputés et le corps de la presse internationale à Bruxelles, puis avec l’abstention dépassant pour la première fois la participation aux élections européennes (en juin). L’idée d’expérimenter d’autres principes et mécanismes de légitimation commence alors à être ouvertement défendue par les milieux intégrationnistes. Mais, bien sûr, il y a alors autant de pistes que de laboratoires de la réforme européenne.

7L’une des voies explorées consiste à instaurer et encadrer par des procédures la participation au travail décisionnel des représentants de la société civile et du marché. La Commission recourt depuis plusieurs décennies déjà aux «groupes d’experts» qui réunissent, autour des hauts fonctionnaires, des universitaires, des représentants de groupes d’intérêts, des cadres des administrations nationales qui conseillent les responsables de la Commission dans la préparation des initiatives et des avis de cette dernière (Christiansen, Larsson, 2007). En 1997 et 1999, le Parlement européen vote deux résolutions allant dans ce sens. Aux lointains soupçons d’une influence permanente des lobbies se sont récemment adjointes des affaires de corruption, l’ouverture aux représentants d’intérêt et aux défenseurs de cause doit donc se faire en garantissant la probité des institutions de l’Union européenne. Lorsque le nouveau collège de commissaires présidé par Romano Prodi [14] s’installe en 1999, et en accord avec les eurodéputés et les chefs de gouvernement, il choisit de placer la réforme administrative et institutionnelle en tête de ses priorités. Très symboliquement, son premier vice-président, l’ancien leader travailliste britannique Neil Kinnock, est chargé de la «réforme administrative». Prodi nomme un groupe de travail chargé de rédiger un projet de réforme de la «gouvernance européenne» et lance une série de concertations publiques baptisée «Le dialogue sur l’Europe – Enjeux de la réforme institutionnelle». Six commissaires sont associés (quatre socio-démocrates [15] et deux libéraux-conservateurs [16]) ainsi que des responsables du Parlement et du Conseil, du Comité des régions et du Comité économique et social. Ce dernier se voit confirmer dans son rôle d’interlocuteur légitime aux représentants de la «société civile européenne» (Weisbein, 2003; Michel, 2007). En effet, ne pouvant ignorer, d’une part, les critiques qui la dénoncent comme l’instrument des lobbies et, d’autre part, la défiance des eurodéputés à son égard depuis la crise Santer, elle semble voir dans le CESE, qu’elle met au-devant de la scène publique européenne, une part de la solution à ces problèmes. Le CESE cherche activement à faire reconnaître ses prétentions à représenter et animer la «société civile organisée» de l’Union européenne. Dans son rapport de 1999 (intitulé «Le rôle et la contribution de la société civile organisée dans la construction européenne»), il se définit officiellement comme une «instance de médiation» entre les citoyens et les autorités politiques. L’essentiel des instruments du participationnisme est d’ores et déjà en place: principes procéduraux de légitimation par la «concertation», injonction à la coopération des diverses «parties prenantes», dispositifs de «transparence», promotion des représentants de la «société civile», principes desquels la commission ne divergera au cours de la décennie que pour donner l’apparence d’une participation populaire. Il manque un acte symbolique institutionnel fort pour édicter les principes de ce nouvel esprit de l’action publique européenne et en prescrire les modalités pratiques: ce sera le Livre blanc sur la gouvernance. À la fois scientifique et pragmatique, cette nouvelle théorie du gouvernement de l’Europe entend «renouveler la méthode communautaire en suivant une approche qui parte davantage de la base que du sommet, et en complétant plus efficacement les instruments de ses politiques par des outils non législatifs» (Commission, européenne, 2001, p. 4). La «société civile organisée» du CESE est consacrée par un «forum», contributeur officiel à la Convention constitutionnelle qui débute ses travaux en 2002.

8La genèse de la «nouvelle gouvernance européenne» a déjà été explorée (Lassalle, Georgakakis, 2007). Nous voudrions toutefois insister ici sur le rôle joué par les chercheurs universitaires dans son énonciation théorique, en focalisant notre regard sur la part des European Studies qui se consacrent à évaluer la qualité et l’efficacité du gouvernement de l’Union européenne et assument la normativité de leur démarche. Le groupe chargé de la préparation du Livre blanc travaille en étroite collaboration avec la Cellule de prospective [17], ce «cercle de réflexion» conseillant le président de la Commission. Dans ce champ professionnel très composite de l’eurocratie (Georgakakis, 2012), la mise en œuvre de procédures de concertation des publics paraît alors d’autant moins incongrue qu’y progresse la certitude que les gouvernants de l’Union européenne doivent répondre positivement à l’impératif participatif que des chercheurs de renom et des associations citoyennes appellent vivement de leurs vœux face au «déficit démocratique» de l’Union européenne. Ce n’est que progressivement que le participationnisme des institutions européennes va se parer des attributs d’une idéologie, au sens où il va traduire une volonté «d’orienter l’action destinée à la perpétuer, de donner un moral et une morale, une direction et des directives à ceux qui dirigent et le font passer à l’acte» (Bourdieu, Boltanski, 2008, p. 94). Porté par des agents de sous-espaces singuliers (la Cellule de Prospective de la Commission européenne) ou non centraux (le Conseil économique et social européen), il n’a pu s’imposer qu’avec la contribution décisive des producteurs et médiateurs habituels de la «doctrine» européenne. Ce courtage d’idées s’est principalement réalisé au sein du «champ faible» de la décision européenne (Mudge, Vauchez, 2012): groupes d’experts de la Commission, cercles de réflexion politique, centres de recherche universitaires et think tanks bruxellois, tous entrepreneurs du réformisme institutionnel, de la bonne politique à conduire et des «bonnes pratiques» à adopter, adossant leur entreprise aux vérédicités des sciences de gouvernement. Rendu possible par le tournant cognitif du néo-libéralisme (Jobert, 1994; Muller, 1995) et une conjoncture institutionnelle favorable (Crespy, Ravinet, 2014), le basculement vers la «gouvernance» tient aussi à la «saillance institutionnelle» (Dobry, 1986, p. 198sq.) de la «crise» de l’Union européenne après l’affaire Santer. Le «laboratoire» de la gouvernance dispose alors des conditions politiques pour faire entendre ses vues dans l’arène bruxelloise. Le reste est affaire de rapport de force politique.

9Convaincus que le dialogue social européen, institutionnalisé sous les présidences Delors, peut être étendu au «dialogue civil européen», experts et conseillers de la Commission intensifient leurs échanges sur ce point avec des chercheurs universitaires. En 2001, quelques semaines avant la publication du Livre blanc, la Cellule de prospective fait paraître un volume de plus de trois cents pages qui établit un «diagnostic procédural» de la décision européenne (De Schutter et al., 2001). Hormis quelques plumes de la Cellule et la préface de Jérôme Vignon («conseiller principal chargé du Livre blanc sur la gouvernance européenne» et ancien directeur de la Cellule de prospective), cet état de la réforme souhaitable réunit surtout des universitaires (voir encadré 1).

Si le rôle des juristes dans la théorisation de la construction européenne a été souligné (Vauchez, 2013), la gouvernance européenne doit ses fondements théoriques aux sciences politiques, cet espace de la production universitaire où la «science politique est politique en discours» (Bourdieu, Boltanski, 2008, p. 115) au sein d’un jeu d’interrelations entre élites multipositionnées. C’est le cas de Vignon, responsable de la cellule de prospective, cumulant des capitaux politiques et technocratiques. Né en 1944, polytechnicien et diplômé de l’ENSAE, il passe par la DATAR et la prospective ministérielle. Militant dans les milieux chrétiens progressistes, il dirige le Mouvement chrétien des cadres et dirigeants dans les années 1970, puis arrive à Bruxelles dans le sillage d’un autre syndicaliste, Jacques Delors, dont il a été membre du cabinet au ministère des Finances. L’équipe de la Cellule de prospective qu’il dirige à la Commission partage un même sens commun réformateur, où s’enchevêtrent valeurs des mouvements chrétiens-démocrates, esprit planiste et scientisme, autant de capitaux fortement valorisés à Bruxelles. Son groupe «gouvernance» est composé de hauts fonctionnaires européens qui, pour la plupart, ont effectué des formations universitaires longues et ont parfois exercé le métier universitaire avant de rejoindre la Commission. C’est notamment le cas de José Candela (docteur, puis professeur de droit à Madrid), Renaud Denuit (maître de conférences invité à l’UCL), Notis Lebessis (docteur, enseignant d’économie à Paris) ou de Stefaan De Rynck (docteur de l’Institut universitaire européen de Florence). Plusieurs conseillers externes de cette Cellule sont également recrutés dans les rangs des universités européennes et intégreront progressivement l’organigramme de la Commission sous la forme de «groupes d’analyse» spécialisés («Analyse politique», «Politique économique», «Politique sociétale»). Ces liens avec le monde universitaire s’affirment dès 1995, dans un séminaire organisé au Centre de philosophie du droit de l’Université catholique de Louvain (UCL) où membres de la Cellule de prospective échangent avec philosophes et juristes. En 1997, le séminaire a pour thème «Gouvernance et Union européenne».
Ces interactions entre champs bureaucratiques et académiques se concrétisent dans l’ouvrage La Gouvernance dans l’Union européenne, publié en 2001 par la Cellule de Prospective, et dont les auteurs occupent des positions universitaires à fort capital symbolique au sein des European Studies et du droit européen. On y compte trois professeurs de droit et de science politique de l’UCL, deux professeurs de droit européen de l’Institut universitaire européen de Florence (par ailleurs respectivement professeurs à l’université de Hambourg et de Westminster), un professeur de science politique de l’IEP de Paris, un professeur de science politique émérite de l’Université de York, un professeur de droit de l’Université Paris-10-Nanterre et député européen PCF, un professor of government à Oxford, un professeur de science politique de la London School of Economics et, enfin, un directeur de recherche en sociologie des organisations au CNRS.

10La réforme de la méthode communautaire dessinée dans les différentes contributions part du constat unanime d’un double échec: d’une part, l’épuisem*nt de la vieille théorie systémique et institutionnaliste fondant toute la légitimité de l’Union européenne sur une réplication de la démocratie parlementaire et, d’autre part, une efficacité non optimale des politiques européennes limitant une légitimation de l’Union européenne par ses outputs (Scharpf, 1999). Ce modèle s’avère, selon les contributeurs, inadapté pour un centre politique supranational chargé désormais de réguler un ensemble de sociétés post-industrielles complexes, soumises à des défis économiques, sociaux, sécuritaires et culturels globalisés. L’essentiel de la production normative européenne étant réglementaire (et non législative), ils préconisent d’adjoindre plus fortement la logique procédurale de la concertation (des «experts» et des «parties prenantes») (Dehousse, 2001). La voie à suivre est indiquée par les réformes administratives conduites dans certains pays membres et inspirées du New Public Management[18].

11Cette œuvre collective théorique et normative présente la «procéduralisation» de la participation comme le dépassem*nt possible et souhaitable du déficit démocratique de l’Europe politique, suivant les mots d’ordre du nouvel art de gouverner: «responsabilisation», «dialogue», «transparence» et «accountability». Cette dernière notion, forgée par le management privé, est importée dans le lexique de la gouvernance publique pour affirmer l’obligation pour les décideurs d’assumer leur responsabilité et la transparence de leur action (comptes rendus, information des shareholders et des stakeholders) et donc de se soumettre à l’évaluation des résultats qui lui sont imputables (Harlow, 2002; Stokes, Manin, 1999). Il ne faudrait pas exagérer l’impact immédiat du Livre blanc qui, lors de sa publication, ne reçoit qu’un intérêt courtois. Les commissaires sont divisés sur la validité du projet et plus encore sur la capacité conjoncturelle de la Commission à l’imposer à ses partenaires (Conseil, Parlement). Plusieurs de nos interlocuteurs, qui officiaient dès cette époque au sein des institutions européennes, ont souligné la relative indifférence de l’accueil du Livre blanc:

12

«On n’avait pas tout à fait le sentiment de vivre une révolution ou quelque chose de positivement historique pour l’intégration… ce n’était pas ce qui dominait, c’est certain.»

13Cependant, pour les divers entrepreneurs intégrationnistes intéressés à la restauration de la «méthode communautaire», l’analyse et les propositions mettent à leur disposition un puissant levier d’action discursif sur les perceptions du régime de l’Union européenne. Cela crée un nouvel «ordre du discours» alternatif à la démocratie représentative, «à la fois contrôlé, sélectionné, organisé et redistribué par un certain nombre de procédures [ayant] pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers» (Foucault, 1971, p. 11). La gouvernance est présentée comme un principe décisionnel «dépolitisé», un nouveau mode d’emploi de la «méthode communautaire» où la production règlementaire serait pilotée par des procédures «neutres» scientifiquement éprouvées (Peters, Pierre, 1998; Dufournet, 2014). La perspective d’une démocratisation par la procéduralisation pourra agir comme le ferment d’une «communauté de promoteurs» (Bezes, 2012) qui se recrute aussi dans tous les milieux jaloux de leur accès privilégié aux arènes discrètes (groupes d’experts, comités interinstitutionnels, comitologie) où se négocie la décision européenne.

14À bien des égards, la séquence qui s’ouvre avec l’échec électoral du printemps 2005 peut s’analyser comme une phase d’expérimentation, par les institutions de l’Union européenne, Commission en tête, de dispositifs participatifs citoyens. Au-delà du participatory turn de l’Union européenne abondamment commenté par les contemporains, il convient d’envisager cette période comme un moment où sont explorés les voies et moyens d’adjoindre la concertation des citoyens à la matrice gouvernancielle définie en 2001. Si cette dernière proposait une réponse institutionnelle à la nécessité de contrôler le «management de l’interdépendance» (Mayntz, 1996) avec les experts et les représentants d’intérêt, l’échec du processus référendaire de ratification du traité constitutionnel impose de dépasser le caractère néo-corporatiste de la gouvernance (Papadopoulos, 1999) par la participation directe des citoyens aux processus décisionnels. Avant d’être formellement intégré et encadré par les traités au titre des principes du gouvernement de l’Union européenne (cf. ICE dans le traité de Lisbonne), le participationnisme citoyen européen a connu au cours de la seconde moitié des années 2000 une phase de mise à l’épreuve. Les multiples expérimentations initiées ou soutenues alors par la Commission traduisent le souci – tactique – de donner à voir une Europe à l’écoute de ses citoyens. Elles offrirent aussi un nouveau cadre de théorisation aux laboratoires de la réforme, ouvrant la voie à l’intégration progressive du participationnisme citoyen au principe gouvernanciel de la stakeholderness.

15Les nouveaux records d’abstentions aux élections européennes de 2004 et les échecs référendaires du printemps 2005, renforcent le camp de la réforme. Réunis en Conseil européen en juin 2005, les chefs des États membres mandatent la Commission pour animer une «réflexion commune» avec la société civile et proposer une réponse européenne à la «crise». La Commission saisit l’occasion de mettre à l’épreuve la conception procédurale de la participation consignée dans le Livre blanc. Margot Wallström (voir encadré 2), alors première vice-présidente du Collège Barroso en charge des «Relations institutionnelles et de la stratégie de communication», s’attache à imprimer, avec un volontarisme politique indéniable, ce participatory turn à l’Union européenne. En charge de l’Environnement dans le précédent Collège, Wallström comptait parmi les quelques commissaires favorables aux propositions du Livre blanc et assume publiquement son soutien à la «gouvernance». Elle avait d’ailleurs introduit des dispositifs participatifs dans la mise en œuvre de la politique environnementale de l’Union européenne, s’inspirant d’expériences développées dans les pays nordiques depuis la fin des années 1980 (Georgakakis, 2007, p. 191). Dans le cadre de son second portefeuille, elle déploie une série de déclarations d’intention, de programmes et de plans d’action destinés à favoriser le dialogue et la concertation avec les citoyens européens. Un premier Plan d’action relatif à l’amélioration de la communication sur l’Europe est adopté en juillet 2005, devenu Plan D, comme Démocratie, Dialogue et Débat en octobre 2005 – en référence au «Plan B» évoqué pendant la campagne de ratification du TCE. La volonté de marquer une «rupture radicale» dans le rapport de la Commission avec les peuples des pays membres s’exprime dans un nouveau Livre blanc, dédié à la politique de communication européenne, qu’elle coordonne et publie en 2006. Acquise aux préceptes de la démocratie participative, elle y définit la communication comme un «dialogue» destiné à «combler le fossé» entre institutions et citoyens de l’Union européenne, dialogue organisé à travers la démultiplication des dispositifs de concertation.

La carrière européenne de Margot Wallström, commissaire dans les équipes Prodi (1999-2004) et Barroso I (2004-2009), est emblématique de ce moment d’expérimentation effervescente du participationnisme dans le champ politique européen. Militante social-démocrate, elle débute sa carrière politique à 20 ans en tant qu’ombudsman de la Ligue de la Jeunesse sociale-democrate suédoise. Plusieurs fois ministre – à la Consommation, aux Femmes et à la Jeunesse (1988-1991), à la Culture (1994-1996) puis aux Affaires sociales (1996-1998) –, elle accumule aussi plusieurs expériences dans les entreprises de presse et de communication (elle dirige un temps la chaîne régionale de télévision Värmland). Nommée commissaire en 1999, elle occupe le 18e rang protocolaire de la Commission Prodi. En 2002, son action pour l’intégration environnementale lui vaut d’être élue «Commissaire de l’année» par le journal European Voice. En 2004, toute nouvelle première vice-présidente de la Commission, elle publie avec un parlementaire européen social-démocrate suédois – Göran Färm – un ouvrage (en suédois) au titre programmatique: L’Europe des peuples ou pourquoi il est aussi difficile de faire aimer l’Union européenne? Peu après, Färm intègre le cabinet de Wallström à Bruxelles pour mettre en œuvre le Plan D. Par le volontarisme qu’elle manifeste pour développer un programme institutionnel de dispositifs participatifs, elle acquiert et revendique son surnom de citizens’ commissionner. Lors d’une conférence de presse à Bruxelles, elle répond au correspondant du Financial Times: «I feel honored and touched by being called a citizen’s Commissioner. […] It would not be possible to continue this project of European integration without the citizens, without their participation, without giving them a voice» («Tomorrow’s Europe Launch Event», Bruxelles, 17 septembre 2007). Conduite par la DG COMM de la Commission, cette politique bénéficie de moyens conséquents. Sous Wallström, le budget de cette DG augmente rapidement (passant de 71,9 millions d’euros en 2005 à 103,8 millions d’euros en 2009, hors frais de personnels). Cependant, l’activisme participationniste de la commissaire est jugé stérile sur le plan des rétributions politiques pour l’Union européenne. Un fonctionnaire attaché au Directeur général de la DG-COM analysait ainsi la situation en 2007: «Wallström, elle veut faire beaucoup de choses. Ella a voulu créer un lieu de mémoire de l’Europe pour que s’y passent des cérémonies, pour qu’il y ait de l’émotion européenne commune. Elle a aussi voulu créer de grands camps de rencontres, du genre grands camps de scouts avec des jeunes européens de tous les pays membres. Elle a aussi voulu faire ses European Public Spheres, c’est-à-dire transformer les rez-de-chaussée des représentations [de la Commission dans les États membres] en lieux publics de débat. C’est un gâteau qu’on lui a donné. Il y a chez elle un côté boys-coutisme… suédois. Tout le monde regarde ça en rigolant et nous… nous, on y va en reculant. Elle a officiellement en charge les relations interinstitutionnelles mais, après le référendum de 2005, les choses ont changé et sont devenues une affaire de grands. Barroso et le président du Parlement (qui est PPE, lui aussi) traitent ensemble, directement» (entretien realisé en juin 2007).

16Parce qu’elles sont conçues à la fois comme des dispositifs de «recherche sur l’opinion» des eurocitoyens ordinaires mais aussi comme l’opportunité d’organiser une rencontre (physique ou dématérialisée) entre des eurocitoyens et les responsables européens, les expériences participatives qui jalonnent la fin des années 2000 (Tomorrow’s Europe, European Citizen’s Consultation, programme Europolis) fonctionnent comme autant d’opérateurs de liaison entre les divers entrepreneurs potentiels du participationnisme européen: agents de l’Union européenne, universitaires et experts en démocratie participative, agences-conseil en ingénierie participative, ONG citoyennes, think tanks impliqués dans les affaires européennes et globales, représentants d’intérêts dont le secteur d’activité est européanisé (banques, assurances, universités, médias), etc. La voie proposée par Wallström dans son Livre blanc de 2006 rencontre l’opposition des eurodéputés, tenants d’une conception représentative traditionnelle. En octobre 2006, après plusieurs mois de débats, le Parlement, fort de son statut de «seule institution élue de l’Union européenne», adresse officiellement une critique très sévère au Livre blanc. Les eurodéputés y contestent jusqu’au fondement juridique du mandat de la Commission à organiser un dialogue avec les citoyens [19]. Mais dans la même séquence, les eurodéputés adoptent un programme, L’Europe pour les citoyens, «visant à promouvoir la citoyenneté européenne active [20]». Tout en tentant d’en imposer une conception préservant leur mandat, les eurodéputés se socialisent à la nouvelle raison participative. Fin 2007, le Parlement organise l’«Agora citoyenne», première rencontre d’ampleur avec le monde associatif invité à débattre avec des eurodéputés (expérience reconduite en 2008 et 2011). Les promoteurs du participationnisme parlementaire se recrutent surtout dans les rangs de la gauche et de l’écologie. On peut ainsi mentionner le rôle déterminant joué dans ces diverses initiatives par Isabelle Durant (interrogée par les auteurs), femme politique belge (parti des Écolos), alors vice-présidente du Parlement européen (groupe Groupe des Verts/Alliance libre européenne).

17Portée dans les milieux institutionnels de l’Union européenne au-delà même des agents les plus intégrationnistes, la raison participationniste accède finalement à la reconnaissance constitutionnelle lors des négociations du nouveau traité européen tout en la réinscrivant dans les modes habituels du gouvernement européen par le compromis et par la société civile constituée (Bouza Garcia, 2015, p. 144-157). En matière de participation, l’innovation majeure du traité négocié en 2007 concerne l’Initiative citoyenne européenne (ICE) qui, d’une certaine façon, confère la force légitimante du droit aux principes consignés dans le Livre blanc de 2001. Elle supplée les expériences de consultation ou de rencontre avec les eurocitoyens «ordinaires» soutenues par la commissaire Wallström qui sont progressivement abandonnées, jugées «coûteuses», «peu rentables politiquement», «touchant une poignée de citoyens» selon nos enquêtés de la Commission ou du Parlement. Plus sévère encore, ce constat dressé par un cadre de la Commission:

18

«Les forums délibératifs, c’est du pipeau… de la pseudo-démocratie délibérative. Car faire vraiment de la démocratie délibérative, ça supposerait d’écouter, de prendre en considération ce qui est dit et d’agir dans le sens de ce qui a été dit. Ici, on n’écoute que les groupes de pression. Et même dans ces forums délibératifs, si vous regardez bien, il y a une surreprésentation des groupes de pression [avant de suggérer de revenir à une attention à ces seuls groupes de pression].»

19Finalement, le mérite de cette exploration intensive des dispositifs de délibération citoyenne aura été de montrer leur inanité politique et leur incapacité à résorber le déficit démocratique de l’Union européenne. Elle aura aussi permis de mettre à l’épreuve une rhétorique institutionnelle et une mise en instruments de la participation de la «société civile», plutôt que des masses citoyennes, à la gouvernance de l’Europe.

20L’expérience Tomorrow’s Europe (dorénavant T’sE), organisée à Bruxelles en octobre 2007, illustre à la fois le savoir-faire mis à la disposition de l’Union européenne dans le management de la délibération citoyenne mais aussi son inadéquation avec la stakeholderness promue par la théorie gouvernancielle. Initié par le think tank Notre Europe, soutenu par la Commission européenne (qui le finance à hauteur de 62% dans le cadre du Plan D), accueilli par le Parlement européen et plébiscité par le CESE, T’sE est un «sondage délibératif paneuropéen» bénéficiant d’un financement de l’Open Society Institute de George Soros, de partenariats commerciaux (Allianz, Thalys), associatifs (EuropaNova, Les amis de l’Europe) et universitaires (European University Institute, Instituto de Estudos Estratégicos e Internacionais). Là encore, l’événement est organisé sous le patronage scientifique d’un des concepteurs de la technique du sondage délibératif (voir encadré 3), le politiste américain James Fiskkin, qui l’a fondée sur le postulat que la délibération de citoyens correctement informés débouche inéluctablement sur des opinions raisonnables et convergentes (Luskin et al., 2002, p. 466). C’est à cette «obligation de résultat» – l’émergence d’un consensus – qu’est astreint T’sE. Il s’agit bien, pour les promoteurs du participationnisme européen, d’un premier exercice de délibération citoyenne rationalisée et administrée destinée à tester les potentialités d’une ingénierie réputée capable de produire des attitudes citoyennes informées de façon impartiale, pondérées sur le plan politique, mesurables et interprétables par la science (Aldrin, Hubé, 2011). Le «comité scientifique» de T’sE réunit d’ailleurs 17 universitaires (14 professeurs d’université et 3 chercheurs), membres des institutions les plus renommées de leur pays (EHESS, Sciences Po, Université libre de Bruxelles, Oxford, New York University) et d’Europe (Institut universitaire européen de Florence). Certains prolongeront leur implication dans le participationnisme européen en organisant des sondages délibératifs en Hongrie et en Italie (financements du 6e PCRD) et une nouvelle expérimentation paneuropéenne (7e PCRD) dont ils publieront l’analyse dans les revues de European Studies (Isernia, Fishkin, 2014; Isernia, Smets, 2014).

Docteur en science politique et en philosophie, James Fishkin est professeur à Stanford (département de communication) où il dirige le Center for Deliberative Democracy. Le concept du sondage délibératif repose sur l’idée que les citoyens, instruits d’une information claire et objective et placés dans un contexte favorable à la délibération, sont capables de formuler des choix politiques consensuels et rationnels (Fishkin, 1991). Le concept sert une entreprise de «restauration de la délibération» dans les démocraties. L’expérimentation scientifique rejoint aussi le projet d’une entreprise économique, celle du Centre for Deliberative Democracy de Stanford qui a breveté son deliberative poling®. Entrepreneur avisé, Fishkin a su tirer profit des usages du participationnisme par différents régimes. Au printemps 2005, il a réalisé avec l’appui d’un universitaire chinois et sous la tutelle de responsables locaux du Parti communiste chinois une expérience de délibération populaire en Chine. L’universitaire se réjouit à cette occasion des qualités multiples d’une expérience «utilisant les sciences sociales pour consulter le public; démocratique car elle donne la parole à un échantillon aléatoire et non seulement aux cadres du parti et légale car ses résultats ont été présentés au Congrès du Peuple» (Fishkin et al., 2010, p. 446). Satisfactions qu’il publie systématiquement dans les revues académiques internationales de rang A donnant ainsi à son dispositif les meilleurs gages de scientificité.

21Le «pluralisme», invoqué à tous les niveaux du protocole, fait l’objet d’une définition plutôt restrictive. Par exemple, dans les documents préliminaires d’information (briefing material), les participants se voient exposer de façon très polarisée les options alternatives sur deux grands dossiers européens: l’éventualité d’un système européen des retraites et l’approfondissem*nt de la politique étrangère commune. Chacun de ces problèmes est présenté sous la forme d’une question synthétique suivie des principales propositions de solutions supposément présentes sur la scène politique européenne. Ce travail de synthèse et de cartographie des débats implique des choix de présentation et d’interprétation mais les organisateurs, pour anticiper toute critique, affirment:

22

«Tous les efforts possibles pour s’assurer qu’une grande diversité d’opinions sera représentée de manière égale dans ce document. Nous l’avons rédigé [ce («briefing material»] avec l’aide de bon nombre de nos partenaires, qui ont des avis divergents sur les thèmes abordés [21]

23L’examen du procédé d’écriture de ce document indique que les rédacteurs ont fait appel à des responsables politiques situés de part et d’autre de l’axe gauche-droite mais en limitant ce «pluralisme» aux partis soutenant traditionnellement l’intégration européenne, afin d’éviter ce que les concepteurs du dispositif appellent les «enrôlements populistes» (Fishkin, 2006). Selon la même logique, les participants se voient contraints d’adopter une attitude consensuelle à toutes les étapes de l’expérience. Il s’agit d’incarner une démocratie idéale, dépouillée de «ses aspects négatifs» [22]. Lors de la séance inaugurale, il est rappelé que des désaccords peuvent surgir mais:

24

«Ces oppositions, ces questionnements ne doivent pas être considérés comme un problème. Ils sont au contraire source de fertilité, ils sont signe de la maturité du projet européen. Si et seulement si, toutefois, on prend la peine d’en délibérer vraiment [23]

25Les animateurs des délibérations ont été formés pour éviter les confrontations et ont pour consigne de ramener systématiquement la discussion vers les seules questions et arguments formulés dans le briefing material. Le guide auquel ils doivent se référer précise encore qu’«éviter la confrontation est une tâche importante de l’animateur [24]». Pour générer la convergence des opinions, l’ensemble du dispositif de sondage délibératif tend à euphémiser les oppositions sociales de genre, de classe ou de nationalité, réduisant les participants à leur seule dimension statistique (voir encadré 4). Réunis par «clusters» d’une vingtaine de personnes, les 400 participants expriment leurs opinions, échangent des arguments pour rédiger ensemble, sous la houlette de l’animateur, une question que les organisateurs pourront éventuellement sélectionner afin qu’elle soit soumise aux «experts» siégeant à la tribune lors des séances plénières. La délibération consiste donc à formuler collectivement une question «constructive» et «non polémique» susceptible d’accrocher l’intérêt et donc aussi une réponse des experts.

L’échantillon-test des 3 550 personnes qui acceptent de répondre au sondage Tomorrow’s Europe en 2007 est sensiblement plus diplômé, à âge et profession égaux, et particulièrement intéressé par la politique que mène la population européenne. Parmi les 362 personnes présentes physiquement au sondage délibératif, les effets de sélection sociale se révèlent plus importants encore: les «non diplômés» ne représentent plus que 8,6% du groupe, quand 57,7% possèdent une formation universitaire. De plus, la différence statutaire de cet échantillon auto-sélectionné est évidente: 74,7% des participants ayant fait le déplacement reconnaissent leur intérêt pour la politique et les affaires étrangères, 79% se déclarent europhiles (contre, respectivement 54,9% et 69,4% de l’échantillon initial) [25]. Si les organisateurs insistent sur la représentativité de leur échantillon en minorant la différence entre les deux échantillons, une même différence de 3 points dans les opinions des participants entre les deux vagues devient alors «une petite variation mais significative statistiquement» quand il s’agit de montrer l’avènement d’une sphère publique européenne [26].

26Contrairement à d’autres dispositifs de concertation citoyenne, le sondage délibératif ne confère aucun pouvoir décisionnel à ses participants. Il ne comporte rien du fameux empowerment, procédé «par lequel un individu et/ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action lui permettant d’accéder au pouvoir individuel et collectif» (Biewener, Bacqué, 2011, p. 82). Il n’exige qu’un «engagement temporaire» au sein de cet échantillon européen. Si les organisateurs se félicitent «de mettre toute l’Europe dans une même pièce» [27], l’assignation des rôles entre citoyens, d’un côté, représentants et experts professionnels, de l’autre, reproduit sous une forme modélisée les cadres habituels de la délégation (Bourdieu, 1984). Pourtant, l’«opinion publique européenne» qui s’exprime à travers ce procédé très artificiel donnera à la Commissaire Margot Wallström une «base populaire» pour prouver aux dirigeants du Conseil européen réunis quelques semaines plus tard à Lisbonne qu’il existe un fort «désir d’Europe» dans les opinions des pays membres (Aldrin, Hubé, 2011, p. 116-124).

27Très onéreux et d’une rentabilité politique modique, ces dispositifs participatifs fondés sur un échantillon citoyen seront progressivement abandonnés. En même temps, ils démontrent de façon empirique l’efficacité des technologies de participation qui permettent de débattre des politiques publiques à l’abri des clivages militants – policy without politics. Les auteurs qui s’intéressent à la démocratie délibérative ont déjà mis en avant cette euphémisation (voire la dénégation) de la confrontation par l’administration stratégique de l’ingénierie de délibération (Young, 2006). Ils pointent l’invisibilisation paradoxale du pluralisme – pourtant constitutif de la démocratie – dans des procédures délibératives exclusivement tendues vers le consensus et où la conflictualité sociale est réduite aux options alternatives classiques du libéralisme politique (Fraser, 2001, p. 149; Sunstein, 2003). Les expériences testées par les institutions de l’Union européenne dans les années 2000 permettent de donner une justification scientifique à la réduction du périmètre idéologique des participants. Elles permettent également d’entériner le resserrement du participationnisme institutionnel sur les seuls citoyens représentatifs d’intérêts organisés (Bouza Garcia, 2015) ou porteurs de questions légitimes. En établissant un lien direct entre les masses citoyennes et le Législateur européen, l’ICE constitue à la fois un symbole majeur de la démocratisation du système institutionnel de l’Union européenne mais aussi un instrument de sélection et de contention des opinions populistes ou extrémistes. Grâce à la nouvelle théorie du gouvernement européen qui lui sert de justification juridique et politique, l’ICE est présentée comme l’appareillage citoyen de la gouvernance, censé dissiper le fondement néo-corporatiste de cette dernière. Dans cette consécration du participationnisme d’institution de l’Union européenne, les laboratoires informels du réformisme européen ont, une nouvelle fois, joué un rôle décisif dans l’accomplissem*nt.

28Le processus de création et d’institutionnalisation de l’Europe politique s’est opéré avec le renfort continu du monde académique dans ce courtage d’idées (Horn, 2008; Robert, Vauchez, 2010). La réforme participationniste de l’Union européenne s’inscrit dans cette tradition de coproduction: elle incorpore un appareillage théorique très sophistiqué, échafaudé autour du lexique de la «qualité de la démocratie» (responsabilisation, efficience, transparence, participation) dont les visées évaluatives, normatives et prescriptives sont ici ajustées aux «problèmes» de l’Union européenne. L’interpénétration des champs d’activités est facilitée par les nombreux espaces routinisés d’interaction et de sociabilité où devisent ensemble sur la réforme de l’Union européenne agents des institutions de l’Union européenne et représentants du monde académique. Les programmes de recherche (PCRD) et les conférences internationales (programmes Jean-Monnet, notamment) financés par l’Union européenne, mais aussi les rencontres organisées par les think tanks bruxellois (comme le Centre for European Policy Studies) en fournissent de multiples occasions. C’est là la matrice privilégiée de fabrication des nouveaux principes du gouvernement européen – post-étatique, participatif et rationalisé pour répondre à la complexité des sociétés modernes – où s’investissent des intellectuels désireux de dépasser les «vieilles lunes» (sic) de la démocratie représentative et du constitutionnalisme (Smismans, 2006a) pour trouver un mode opératoire à cette impérieuse légitimation supranationale (Neyer, 2012).

29L’interdépendance d’activités relevant de champs partiellement autonomes (Gingras, 2002; Smith, 2014) est une affaire compliquée à sociologiser et ne peut se limiter aux seuls soupçons d’une recherche sur commande vivant de subsides contractuels. D’autant que les auteurs concernés ne se privent pas de critiquer les institutions de l’Union européenne et déploient parfois une analyse réflexive sur la possible contribution de leurs travaux aux stratégies de légitimation politique ou sur les conditions d’un usage scientifique des mots (d’ordre) de l’institution. Il reste que leur production sur la «nouvelle gouvernance européenne» contribue, par sa visibilité et son accumulation, à cette «matérialité» des discours d’institution sur le sujet (Foucault, 1971, p. 59). Les publications qui ont conféré une consistance scientifique à la nécessité d’une réforme du modèle de gouvernement de l’Union européenne ont bénéficié de financements européens. L’étude plus précise de trois revues des European Studies permet de mieux cerner cette relation ambivalente. Parmi les nombreuses revues de ce champ académique, nous avons constitué un corpus à partir du Journal of European Public Policy et Journal of European Integration, toutes deux dédiées aux European Studies, ainsi que West European Politics, revue de science politique comparée [28]. Ces trois titres font autorité dans leur domaine et représentent un corpus assez représentatif de cette production académique. Nous avons recensé et codé l’intégralité de leurs articles publiés sur la période 1997-2012, soit 2 627 articles. Nous avons exploré dans cette base la présence de mots propres au lexique de la «gouvernance démocratique» et de la «participation». Cinq termes ou expressions ont été particulièrement étudiés – déficit démocratique, délibératif/délibération, new modes of governance, société civile et stakeholder – pour en suivre les occurrences [29] (voir graphique 1).

Graphique 1

L’Union européenne, une démocratie de stakeholders (1)

30Certaines variations apparaissent clairement dans le lexique des articles. Le déficit démocratique fait ainsi l’objet d’une thématisation assez continue (de 7 à 17% des articles) sur la période, avec des pics lors des années de scrutin européen (1999 et 2004) ou des années post-scrutin (2000 et 2010). Il en va de même pour société civile, notion inscrite à l’agenda de la recherche dès la fin des années 1990 (entre 14 et 25% des articles à partir de 1998). Les trois autres termes – plus normatifs – sont très présents dans notre échantillon. Quasiment absents des trois revues avant 2002, leur occurrence croît régulièrement, en particulier après 2004 dans le sillage des recherches menées au titre du 6e PCRD lancé en 2002 et de sa priorité 7: «Citoyens et gouvernance dans la société de la connaissance» [30]. De façon plus générale, leur fréquence suit très directement l’agenda politique de l’Union européenne (Convention pour l’avenir de l’Union européenne en 2002, échec du TCE, lancement du Plan D en 2005), le traité de Lisbonne (2007) puis l’amorce de l’ICE (2009) constituant l’acmé de l’intrication entre les lexiques institutionnel et scientifique. Après 2010, ces mêmes travaux ont observé les évolutions du participatory turn, marqué par le retour au cœur du jeu de la société civile organisée. Certains spécialistes du régime politique européen y voient un «representative turn» (au sens d’une meilleure et plus saine représentation des gouvernés) (Arnold, Franklin, 2012; Bellamy, Kröger, 2013; Kröger, Friedrich, 2013).

31Parmi les différents projets de recherche, NewGov (pour New Modes of Governance), coordonné depuis l’Institut Universitaire Européen de Florence par Adrienne Héritier, illustre plus parfaitement encore la conjonction des lexiques et le parallélisme des agendas. Les chercheurs de NewGov possèdent tous un fort capital institutionnel européen (IUE, PCRD, fonds et labels Jean Monnet) et siègent dans les comités de plusieurs revues enracinées dans les European Studies. En 2013, 7 chercheurs de NewGov sont membres de l’editorial board du Journal of European Public Policy, 6 dans celui de West European Politics (un seul étant présent dans les deux). Les chercheurs de ce programme publient 33 articles entre 2006 et 2011 dans ces trois revues, dont un numéro spécial du Journal of European Public Policy en 2007 (Schmidt, 2007). On peut noter ici la relative indépendance critique de ces auteurs à l’égard des positions défendues par les institutions de l’Union européenne. Certaines de leurs analyses déconstruisent, voire rudoient le tournant participatif en cours (Smismans, 2008; Cram, 2011), soulignant la faiblesse conceptuelle de la nouvelle «gouvernance» ainsi que sa normativité sans toutefois révoquer les perspectives ouvertes par ce concept (Schmidt, 2007; Treib et al., 2007; Bartolini, 2010). Dans le même ordre d’idées, on pourrait évoquer le projet CONNEX («Connecting Excellence on European Governance») dirigé depuis le MZES de l’Université de Mannheim par Beate Kohler-Koch pour qui «efficiency and democratic accountability is needed because it is the very foundation of legitimate governance». Là encore, ce projet a pu publier au cours de la période un numéro spécial, coordonné par Ronald Holzhacker, du Journal of European Integration (29(3), 2007) portant sur «Democratic Legitimacy and the European Union» et un autre coordonné par Antje Wiener du Journal of Comparative European Politics (5(1), 2007) portant sur «Contested Meanings of Norms - The Chalenge of Democratic Governance Beyond the State». Plusieurs des chercheurs du premier ont collaboré au second. Si ces deux projets méritent attention, c’est qu’ils représentent des formes idéales-typiques de travaux à la normativité assumée autour de la question de la recherche du «bon gouvernement».

32À comprendre la théorie qui se fait jour à travers les travaux de la Cellule de prospective puis ces programmes de recherche, la démocratie semble pouvoir se réduire à la gestion de problèmes sectoriels, contingents et non permanents qui peuvent être résolus par l’appel aux meilleurs experts et aux «bons représentants» de la société civile. Dans cette perspective, la démocratie est réputée «de qualité» quand elle repose sur une ingénierie optimale, c’est-à-dire sur «plus de délibération» avec des stakeholders soigneusem*nt choisis pour leur expertise, quand bien-même ils s’avèreraient «moins représentatifs de l’ensemble de la société» (Dehousse, Lebessis, 2003, p. 122). À côté des héritages des «vieilles démocraties européennes», le régime de l’Union européenne, il s’agit donc de valoriser l’innovation et les «promesses» des dispositifs expérimentaux (Bovens, 2007, p. 116; Neyer, 2012). Dans la mise en ordre discursif du modèle gouvernanciel de l’Union européenne, les social scientists façonnent le corpus d’une nouvelle idéologie dominante, c’est-à-dire d’une doctrine «faite chose, pour faire des choses» (Bourdieu, Boltanski, 2008, p. 104). Certains prescrivent une division du travail scientifique susceptible d’atteindre cet objectif:

33

«La théorie normative devrait donc s’inspirer de – et être mise à l’épreuve par – ces analyses empiriques produites par des politologues et des sociologues, tandis que les juristes devraient eux aider à réduire la distance entre l’idéal théorique et le cadre légal des institutions existantes.»

34L’auteur de cet extrait a participé en 1998 à la rédaction d’un rapport commandé par le CESE. Comme lui, bon nombre de spécialistes défendent une hybridation des modèles démocratiques ou, tout du moins, un dépassem*nt de la démocratie représentative. Surtout, cette inventivité institutionnelle est justifiée au regard de la plasticité du système décisionnel européen, plasticité érigée en propriété singulière du processus d’intégration. La rhétorique utilisée est celle du défi et de l’esprit pionnier. «Ces new modes of governance nous enjoignent à reconsidérer ce que nous acceptons comme les limites du constitutionnalisme démocratique» (ibid., p. 65). Les auteurs insistent sur cette «rupture» historique pour valoriser un nouveau système: la Directly-Deliberative Polyarchy (DDP) (Joerges, Dehousse, 2002) [31]. À la lecture de l’ensemble de ces recherches, la place des citoyens n’est ni un préalable, ni un horizon. Comme l’écrivent les auteurs du rapport NewGov:

35

«Dans un premier temps, les nouveaux modes de gouvernance peuvent pratiquer une forme de participation des stakeholders. Dans un second temps, ils peuvent être liés en retour et rendre compte aux gouvernements démocratiquement élus. […] Seule la première forme de contrôle démocratique permettrait d’assurer une responsabilité démocratique au sens strict du terme.»

36Pour la plupart de ces auteurs, la participation des citoyens européens est un «objet de désir» mais doit s’opérer dans un espace préalablement dépolitisé, c’est-à-dire une délibération de laquelle sont exclues les «tentations populistes» entendues ici comme l’affirmation structurée d’une conflictualité sociale, partisane ou idéologique (Clarke, 2013).

37Cinq ans plus tard, l’ICE consacre la procéduralisation de la participation citoyenne en instaurant une démocratie européenne de stakeholders. Interpellation non contraignante pour la Commission, l’ICE comporte cependant des contraintes explicites et d’autres plus implicites pour ceux qui souhaiteraient la mettre à profit pour faire valoir leur cause auprès de l’Union européenne (voir encadré 5). S’engager dans une ICE suppose la maîtrise d’un savoir-faire technique, l’appui d’une structure organisationnelle mais aussi la détention de ressources relationnelles et institutionnelles considérables qui semblent les limiter aux seuls lobbies et organisations professionnalisées de la société civile européenne. C’est ce que tend à montrer la structuration de l’activité pétitionnaire autour de plates-formes (European Youth Forum, European Civic Forum) déjà bien installées dans le paysage participatif bruxellois (European Citizen Action Service) (Greenwood, 2012). Les premières analyses de la recevabilité des ICE par la Commission confirment par ailleurs que cette dernière favorise les pétitions présentant des positions consensuelles aux dépens des non conflictuelles (Bouza Garcia, 2012, p. 347) [32]. Filtré selon la même philosophie de refoulement des «enrôlements populistes», le moyen de revendication politique offert aux citoyens de l’Europe est en outre sérieusem*nt compliqué par la barrière du nombre de signatures à atteindre. Résultat: début 2015, pour 29 ICE jugées acceptables par la Commission (sur 49 présentées), uniquement 3 avaient pu atteindre le million de signatures requis.

L’Union européenne, une démocratie de stakeholders (2)

38Le lancement officiel de l’ICE par la Commission, le 26 janvier 2012, lors de l’événement Warming Up for the Citizen’s Initiative est une parfaite illustration de l’enclosure sociale du monde des coproducteurs de l’ICE. Le Commissaire Šefčovič inaugure ce jour-là le site officiel de l’ICE qui a pour slogan: «You can set the agenda». Sont appelés à la tribune les principaux stakeholders de la procédure ICE: think tanks pro-européens, sites d’information dédiés aux affaires européennes (Euractiv) et prestataires privés de plates-formes en ligne (Facebook, Google, Dailymotion, Twitter, Gardner group). Erika Mann, responsable des Affaires européennes de Facebook, ouvre ainsi son intervention:

39

«Nous sommes déjà partenaires. Nous pouvons vous aider à défendre les valeurs publiques. Nous ne donnons pas d’argent mais nous avons des services spécialisés dans les valeurs publiques prêts à vous aider [33]

40Ces propos appellent deux niveaux de lecture. Le premier, littéral, est politique. Eurodéputée pour le SPD de 1994 à 2009, Mann incarne une ligne sociale-démocrate tournée vers la participation citoyenne. Le second, plus configurationnel, touche à l’univers des relations publiques à Bruxelles. Surnommée «Miss America» par ses collègues du parti, écartée des listes SPD aux européennes de 2009, active depuis longtemps dans le domaine des technologies informatiques, la lobbyiste de Facebook est engagée dans le combat contre la directive sur la protection des données personnelles annoncée la veille par la Commissaire Viviane Reding (informations Die Zeit, 2/10/2013). Les «partenaires» économiques de poids qui se partagent la tribune avec Mann n’ont rien de simples militants du web. Ces représentants des entreprises de médias sociaux sont tous bien introduits dans le monde des affaires européennes. Simon Hampton, pour Google, diplômé d’Oxford et du King’s College, a débuté sa carrière au UK Foreign Office, est passé par la Commission avant de travailler à la City, chez Time Warner, ou chez AOL et Belgacom comme lobbyiste européen. Christophe Leclercq dirige le média du monde européen EurActiv après avoir, lui aussi, travaillé à la Commission sur les questions de «société d’information». Moins directement lié au monde européen, le secrétaire général de DailyMotion, Guiseppe de Martino, possède une longue expérience des questions de l’économie numérique (en tant que directeur juridique d’AOL France et comme président de l’Association des services internet communautaires et avant cela de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet) et des médias pan-européens (direction juridique d’ARTE). Les deux derniers acteurs invités ont eux aussi une expérience politique. Colin Crowell de Twitter a travaillé à la Chambre des représentants aux États-Unis d’Amérique où il est reconnu comme un expert des lois de régulation du marché des télécommunications numériques (information Washington Post, 19/05/2010). Mark P. McDonald, vice-président de Gartner Group – société productrice de Cloud, a été durant cinq ans vice-président de la Connecticut National Bank (devenue depuis Bank of America). Au cours de cet événement, ils n’ont de cesse de rappeler leur seul engagement citoyen pour l’ICE… pour lesquels leurs plates-formes respectives offrent des outils «citoyens» et «désintéressés».

41Un événement identique organisé à Paris quelques mois plus tard (le 29 juin) confirme, en creux, que la réussite d’une ICE nécessite une bonne intégration au monde des affaires publiques européennes ainsi que la maîtrise d’un ensemble de techniques dans les domaines de la communication, du networking et du fundraising qui se trouve illustrée dans une «boîte à outils» d’une ICE réussie, présentée lors de la conférence (Toute l’Europe, 2012, p. 16).

42

«Les compétences de “lobbyiste” représentent […] la base du montage d’une initiative réussie même si l’enjeu doit également être de s’intégrer à un mouvement social ou/et un mouvement d’opinion. Tout ceci avec pour ligne de mire la récolte du million de signatures en un an. Un challenge nécessitant de mobiliser des ressources et des moyens propres aux lobbyistes.»

43Le paradoxe de ces dispositifs réside dans le fait que l’on attend des participants qu’ils effacent leurs ancrages politiques, quand ce ne sont pas leurs coordonnées sociales afin de garantir de faire place à une conception idéelle de la société civile européenne. Quand les institutions de l’Union européenne font référence à la «société civile», c’est à une acception institutionnelle ad hoc de cette dernière, synonyme de CESE, qu’elles font mention. La «société civile» mobilisée pour les événements de Bruxelles et de Paris témoigne de cette professionnalisation des stakeholders de la politique européenne. L’analyse de la liste des 437 personnes présentes au lancement des ICE à Bruxelles (voir tableau 1) révèle que les représentants de cette «société civile» représentent 44,4% de l’assistance, tandis que les membres des institutions européennes et nationales en représentent 39,6% [34]. Les entrepreneurs de la cause européenne (9,6%) et/ou participative (6,6%) représentent eux près d’un membre sur six (16,2%). Un dernier groupe d’entrepreneurs de cause est composé des défenseurs de causes éthiques, non spécifiquement européennes, comme OxFam, Greenpeace, l’association de lutte contre l’illettrisme, etc. (13,7%). Les universitaires ne sont pas absents (12,6%). Au total, seuls 15 individus apparaissent avec la seule qualité de «citoyen» (3,4%). Telle est la «société civile» réunie à Bruxelles en janvier 2012 pour le baptême public de l’ICE.

Tableau 1

L’Union européenne, une démocratie de stakeholders (3)

N = 437N% Institutions européennes9822,4 Commission européenne4911,2 Parlement européen296,6 CESE61,4 Comité des régions61,4 Autres81,8 Institutions politiques nationales7517,2 Représentations nationales112,5 Parlements nationaux51,1

L’Union européenne, une démocratie de stakeholders (4)

Ministères358Autres245,5Stakeholders19444,4Partis politiques/syndicats102,3Entrepreneurs cause européenne429,6Entrepreneurs cause participative296,6Autres entrepreneurs de cause6013,7Entreprises et groupes d’intérêts286,4Cabinets255,7Autres7016Université5512,6Individus153,4

44Parmi les groupes présents ce jour-là à Bruxelles, plusieurs se retrouveront associés à des pétitions européennes jugées acceptables par la Commission. Trois groupes d’acteurs et de causes peuvent être identifiés, même si aucun ne réussira à réunir le million de signatures. Le premier se recrute parmi les principaux entrepreneurs du participationnisme européen. L’ICE «Let me vote», enregistrée une première fois en mai 2012, déposée à nouveau début 2013, est soutenue par des associations pro-européennes (le mouvement fédéraliste européen) ou participatives (Debating Europe, Democracy International) et par les institutions de l’Union européenne elles-mêmes via des financements accordés à ces associations. Le second groupe est celui de l’ICE «Directive européenne sur les vaches laitières», enregistrée le 10 mai 2012, et faisant suite à la mise à l’agenda de la santé animale consécutive à un Eurobaromètre dédié à ce sujet par la Commission (Law, 2009). Elle est déposée par des entrepreneurs de cause que l’on qualifiera de généralistes, au sens où ils ne sont pas spécifiquement européens (Société mondiale pour la protection des animaux et Compassion in World Farming), appuyés par une marque internationale de crèmes glacées. Enfin, les acteurs d’une troisième ICE représentent une cause sur le territoire européen, mais non communautaire: «Pour une éducation européenne de qualité pour tous», enregistrée le 10 mai 2012. Cette ICE réunit essentiellement des associations membres du Movement for an European Education Trust. Des trois ICE, celle-ci n’est ni soutenue par des institutions communautaires, ni par un groupe économique. Ces trois exemples illustrent le type de management participatif auquel prédispose l’ICE: une gestion dépolitisée, technicisée et sectorisée de «causes» bien peu polémiques.

45En joignant les principes néo-managériaux de la «gouvernance» et les vertus légitimantes de la participation citoyenne, l’ICE parachève l’instauration du «nouveau mode de gouvernement» de l’Union européenne. Déclinaison de cette démocratie des relations publiques (Davis, 2002) qui, là comme ailleurs, tend à redéfinir l’espace décisionnel mais aussi le lien démocratique au périmètre de la représentation organisée et professionnalisée, ce mouvement refonde le principe de la délégation politique au profit des professionnels de la politique (élus, hauts fonctionnaires), des experts labellisés et des permanents de la société civile institutionnalisée. Le tour de force des entrepreneurs de cette réforme est d’avoir progressivement déplacé le paradigme de la représentation, depuis le contrat de la représentation démocratique classique vers une concertation procéduralisée fondée sur la stakeholderness. Trouvant des appuis dans les prescriptions du pragmatisme managérial et des savoirs de gouvernement puis dans la normativité de la nouvelle théorie de la démocratique, ils ont saisi l’opportunité des crises du modèle institutionnel européen pour proposer une refondation des principes de légitimation d’un pouvoir bureaucratique (Neyer, 2012). La contribution des agents non institutionnels à ce processus repose sur des logiques diverses d’intéressem*nt au réformisme européen: par conviction, par intérêt (accès direct aux espaces de la décision, reconnaissance et labellisation institutionnelles, attributions de subventions et financements. Tout se passe comme si ce processus de conversion théorique et politique de l’Union européenne au participationnisme s’était échafaudé en parvenant à concilier, une nouvelle fois, la main gauche de l’Europe politique (celle d’une «Europe des peuples», portée par les partis et organisations attachés au dialogue social et par une société civile éthique et progressiste) et sa main droite (celle d’une «Europe du marché», pragmatique, tournée vers les acteurs économiques et les groupes d’intérêts), en mettant au cœur du jeu une société civile «basée sur la coopération avec les institutions bien plus que sur la contestation» (Bouza Garcia, 2015, p. 20). De ce point de vue, la contiguïté du participationnisme d’institution de l’Union européenne avec le registre sémantique et opérationnel du New Public Management[35] demeure frappante, tant le nouveau style du gouvernement européen, derrière les justifications et narrations de son historiographie officielle, peut s’analyser comme un dispositif de gouvernementalité d’inspiration néo-libérale (transparence des procédures et mise en concurrence des intérêts).

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